Véga avait docilement suivi le gérant de l'hôtel, M. Monty, jusqu'au couloir sombre qui menait à son dortoir, les yeux perdus dans le vague car trop absorbée par ses pensées encombrantes. Elle avait l'air endormie ou un peu trop camée mais elle ne faisait pas grand-chose d'autre que de regarder autour d'elle et de penser à ce qui l'attendait plus tard. Depuis ce jour fatidique où elle avait abandonnée Junie, elle mourrait d'envie de la retrouver et ne pensait plus qu'à elle, chaque jour dès les premiers lueurs du soleil et chaque soir avant de sombrer dans les bras de Morphée, ce qui arrivait tard en général et ne durait pas très longtemps.
Elle entra dans une sorte de grande chambre aux murs peints de noir et aux lits assez grands pour contenir une dizaine de mourants. Monty lui demanda si elle avait des questions, en effet elle en avait plein (pourquoi Jack est-il venu au monde ? Où est passé Junie ? Réponds, pauvre débris) mais elle avait la langue pâteuse et savait qu'il y avait trop peu de chances pour que les réponses obtenues l'intéressent. Comme elle préférait taire ses questions, donc, elle hocha la tête et murmura un inaudible "non" que Monty n'avait pas dû entendre. Elle attendit qu'il soit parti pour lancer sa gibecière noire contre le lit et soupira longutement. Elle s'allongea d'abord sur les draps chauds et immaculés du lit trop large pour sa silhouette longuiline. Puis, toujours assaillie par un poids conséquent de pensées hideuses et de visions macabres, elle finit par se relever, se tenant sur le lit avec les coudes.
Elle se leva prestement puis se dirigea avec une faiblesse inconcevable jusque tout près de la fenêtre aux carreaux trop sales. Elle passa une main rapide sur le verre pour le nettoyer et jeta son regard au vent froid d'hiver qui soufflait furieusement au dehors. Où était Junie ? Allait-elle bien ? Elle n'avait pas encore deux ans, elle était encore jeune et fragile. Y avait-il seulement quelqu'un pour prendre soin d'elle, pour la garder contre son corps et la protéger de toutes les douleurs qui l'attendaient dans l'avenir ? Elle aussi elle rencontrerait un jour un Jack, comme sa mère, celle qui l'avait durement porté et qui avait souffert gravement dans un silence impartial durant une nuit froide et douloureuse. Elle avait encore plus eu mal lorsqu'elle la laissa gésir sur le sol gelé de ce métro dégueulasse.
Une vision lui revint soudainement, elle secoua la tête, rouvrant les yeux sur une nuit aussi froide que celle de son accouchement terrible et entendit alors des bruits particulièrement forts provenir de cette trappe bizarre qui ondulait presque à cause de fréquents coups violents. Elle s'approcha, curieuse, mais n'osait pas faire de mouvements brusques. Elle n'avait pas peur; elle était impatiente de voir ce qui pouvait jaillir.